La caisse des dépôts - maair

Publié dans La Caisse des dépôts, le 10 Février 2022, écrit par Christophe de Charentenay

Choisir une voiture en cherchant à limiter son impact carbone est devenu un exercice pour mathématicien ! Voiture électrique ou hybride rechargeable, profil d’usage urbain ou longue distance, recharge en France ou ailleurs en Europe, autant de paramètres qui impactent fortement le bilan carbone des différentes options.

Si on s’en tient au bilan carbone et pour un usage en France, la solution idéale est d’avoir une voiture 100% électrique équipée d’une batterie fabriquée en France ou en Suède (Pays à électricité faiblement carbonée –  sous les 100g de C02 par Kwh).

A titre de comparaison, un automobiliste qui roulerait en Allemagne avec une voiture électrique dotée d’une batterie fabriquée en Allemagne émettrait au moins 7 fois plus de CO2 qu’un automobiliste roulant en France avec une batterie fabriquée en France (comparaison faite pour 100000 Kms parcourus)[1]. En effet, fabriquer une batterie nécessite beaucoup d’électricité (entre 120 et 160 Kwh par Kwh de capacité), d’où l’importance de produire ces batteries avec une électricité décarbonée.

Mais il est possible d’améliorer encore son bilan carbone en choisissant des batteries de moyenne capacité (200 à 250 Kms d’autonomie). Les enquêtes de mobilité de 2019 nous montrent que les Français font en moyenne trois voyages aller- retour par an en voiture à plus de 200 Kms de leur domicile[2]. Avec une autonomie de 200 Kms, ils peuvent faire tous les autres trajets sans arrêt couvrant ainsi les besoins de 98% des jours de l’année.

Pour gagner une ou deux  heures de temps de recharge pour six trajets par an, doivent ils doubler la taille de leur batterie et payer pour cela entre 3000 et 5000 euros de surcoût ?

 

A propos de taille de batterie, observons ce qui s’est passé très récemment sur le 1er marché mondial de la voiture électrique, la Chine : au mois d’octobre 2021 il s’est vendu presque 40000 petites voitures électrique de marque Wuling, plaçant ce modèle largement en tête de tous ses concurrents électriques et même en deuxième position de l’ensemble des modèles de voitures vendues en Chine toutes catégories confondues (thermique , électrique , hybride  …).

Alors que la faible autonomie est l’argument opposé aux voitures électriques, c’est précisement le modèle doté de la plus faible autonomie (environ 100 kms) qui remporte l’adhésion des clients. Les jeunes femmes chinoises, habitant dans les provinces intérieures plus pauvres forment l’essentiel de la clientèle. Elles payent 3700 euros pour accéder ainsi à la mobilité automobile décarbonée.

Autre originalité de ce modèle, il n’a reçu, à la différence de ses concurrents, aucune subvention directe à l’achat. Les dizaines de milliers de ventes mensuelles de ce modèle ne coûtent rien aux finances publiques de l’Etat ou des régions chinoises.

Le succès considérable de ce modèle invalide les deux « conditions » habituellement revendiquées pour le développement de la voiture électrique : une autonomie accrue et des subventions publiques.

 

Revenons au cas Européen, l’Europe a entrepris de sortir de la dépendance chinoise sur les batteries en lançant un grand programme de construction de Giga factory de batteries de voitures électriques. Avec l’ambition d’atteindre une capacité de 500 Gwh/an à l’horizon 2025 . L’Allemagne se taille la part du lion dans la mise en place de ces capacités[3].

Ce programme va avoir deux conséquences :

  • Il va alimenter des surcapacités de stockage réparties dans les véhicules électriques puisqu‘on voit qu’elles ne seront utilisées que six jours par an en moyenne (trois voyages aller-retour). Au moins 150 Gwh/an de capacité sur les 500 Gwh/an ne vont servir qu’à mettre des surcapacités quasi permanentes réparties dans les centaines de milliers de voitures électriques.
  • Les capacités de production de batteries installées dans les zones à électricité carbonée vont faiblement réduire l’impact carbone versus le diesel. Le surcroit d’émission carbone sera de 12 millions de tonnes par an : 4 tonnes par batterie produite dans ces 150 Gwh/an de capacité.

Si l’impact carbone est une priorité pour les pouvoirs publics français et européens, ils ont les moyens d’agir pour remettre l’Europe sur les rails d’un véhicule électrique « Carbon friendly ». Quatre mesures sont nécessaires :

  • Conditionner les subventions à l’achat de voitures électriques et l’impact CAFE[4] à l’origine décarbonée de leur batterie : un certificat AFC (Appellation Faible Carbone contrôlé) à l’image des AOC serait mise en place.
  • Réserver les subventions à l’achat des véhicules dotés d’une batterie de moins de 30 Kwh, soit 250 kms d’autonomie, suffisant pour 98% des jours de l’année.
  • Réserver les subventions européennes à l’investissement aux Giga Factory de batteries construites dans les pays à électricité faiblement carbonée.
  • Relancer le transport par rail des autos sur quelques axes longue distance pour gérer les trois voyages annuels moyen de longue distance et favoriser les prolongateurs d’autonomie.

Pour le même service et sans changer ses modes de vies, l’Europe pourrait ainsi faire de l’ordre de 10 milliards d’euros d’économie d’investissement (environ 150 Gwh/an) et gagner 12 millions de tonnes de CO2 par an.

 

Après avoir situé la France dans le contexte européen, observons de plus près la position des grandes villes françaises : sont-elles prêtes pour la mobilité décarbonée ?

L’accélération de la transition vers la mobilité décarbonée s’appuie essentiellement sur le développement de la voiture électrique et du vélo électrique. L’utilisation des transports en commun, présents depuis plus d’un siècle, ne va pas soudainement augmenter sauf par effet multimodal.

Si on positionne les principales villes françaises selon le niveau d’équipement en station de recharge publiques pour les voitures électrique et en pistes cyclables sûres, il apparait des écarts considérables de 1 à 8 pour les stations de recharges entre Nice, le champion français de l’équipement en stations de recharge et Nantes, de 1 à 7 entre Strasbourg, le champion français des pistes cyclables et Toulon.

 

Mobilité décarbonée : Les Villes françaises sont elles équipées ? – Source M@Air
M@Air - territoires

 

La course vient à peine de commencer car la part de véhicules électrique dans le parc français est à moins de 5% et la part modale vélo très loin des meilleurs européens, mais certaines villes sont déjà distancées. Comment refaire son retard sans sur investir ?

Une chose est sure : la distribution de l’énergie sous forme d’électricité n’a rien à voir avec la distribution d’énergie sous forme de carburant.  Les stratégies d’investissement qui l’oublient conduisent à des taux d’utilisation des stations de recharge de l’ordre de 5% (cf rapport ADEME aout 2021) pour des équipements jusqu’à dix fois plus chers que nécessaire. A-t-on vraiment besoin de charger partout sa batterie entièrement en 45 minutes alors que sa voiture reste immobile tous les soirs entre 22h et 7h du matin ?

Finalement les territoires en retard ont l’opportunité de tirer les leçons des premières expériences et d’apporter aux citoyens des infrastructures peu coûteuses qui leur permettront de pleinement profiter de l’avantage de l’énergie électrique sous forme de vélos ou de voitures. Les maitres mots de ces stratégies gagnantes sont faible puissance, large diffusion, simplicité d’usage.

De la production des batteries à la distribution de l’énergie pour la mobilité décarbonée, la France et ses territoires ont une formidable carte à jouer dans la transition décarbonée.

 

Note : Une partie de cet article a été publiée le 25 novembre 2021 par Les Echos : Opinion | Automobile : quelles batteries électriques pour l’Europe ? | Les Echos

 

[1] CO2 par Kwh – source agence européenne –  https://www.eea.europa.eu/ -2016

[2] www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/comment-les-francais-se-deplacent-ils-en-2019-resultats-de-lenquete-mobilite-des-personnes.)

[3] Les Echos – Mobilités électriques : où se trouvent les futures usines de batteries – 14 juillet 2021

[4] CAFE : Corporate Average Fuel Economy – mécanisme d’incitation à la baisse des émissions qui régule les constructeurs automobiles

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *